Vivre sur le fil

Publié le par Ondine Venezia

 

Il marche tout droit, les yeux bien écarquillés, la bouche inexpressive. Sous ses pieds, juste le fil, le fil ténu de sa vie. Il marche pour ne pas tomber. Parce qu’il n’est pas prêt. Il ne sait pas bien la distance qui le sépare du bout, là-bas. Respirer à fond, respirer à peine, tout pour ne pas tomber. Ecarter les bras, sentir le souffle de l’existence sur lui. Et voir le bout se rapprocher, estimer mieux la distance. Il a peur. Puis il ne sait plus, il est fatigué. Il a réussi tout ce temps à tenir sur son fil, alors que tant d’autres sont tombés tout autour. Il en a vu aussi continuer, se voûtant peu à peu. Il ne sait pas ce qu’ils sont devenus, ils ont atteint leur extrémité. Ils ne sont plus là. Il est de plus en plus seul. Il se courbe, laisse ses paupières paresseuses s’alourdir. Il sait bien que ce fil bien tendu n’est qu’un leurre, ça fait longtemps qu’il l’a compris. Il ne mène qu’à un but illusoire. Oh, il a bien essayé, comme d’autres, de croire qu’il atteindrait l’équilibre parfait sur une surface infinie et lénifiante. Mais à quoi bon ? Il avance bravement, floué, flétri, mais résigné… sous ses pieds, il perçoit encore le dur contact du fil d’acier ; sur sa peau, la douceur ou l’âpreté du temps ; sur ses lèvres, le sel et le sucre mêlés ; dans ses narines, le tourbillon des saisons ; à ses tympans, le frémissement du monde. Et devant lui, là-bas, l’arc-en-ciel pâli de ses illusions. Il marche encore, mais rien ne l’atteint plus vraiment, peu à peu, il se détache, il n’existe plus qu’en lui-même. Le but est proche, ou peut-être la chute, quelle importance…

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