Vivre à la mort

Publié le par Ondine Venezia

Cette plage est une carte postale. Les chaos de roches granitiques roses, aux rondeurs irréelles, forment des empilements à l’équilibre improbable. Ils encadrent une mer d’un bleu presque suspect, où tanguent nonchalamment quelques coques blanches à moteur. L’expression « le temps s’est arrêté » semble prendre sens juste là, maintenant, devant moi.

Septembre m’apporte une solitude bienvenue. Je me suis assise sur le sable rose, je plonge la main dans les granulés polis qui me chatouillent sensuellement la paume.

Il est quinze heures.

Je m’aperçois que je ne suis pas seule. A quelques dizaines de mètres, dans l’anfractuosité d’un amas de roches, un couple s’est glissé. L’homme est couché dans une position fœtale, la tête sur les genoux de la femme. Celle-ci est courbée au-dessus de lui, sa tête à presque toucher le dos de son compagnon. La chemise de l’homme fait un renflement sous le col, sans doute la main de la femme qui s’y est glissée. Elle doit être rousse. Il n’y a que les cheveux roux pour avoir tant d’éclat. Ses cheveux bouclés volettent sous l’effet d’un vent léger. La main de l’homme pend le long du rocher. Moment de douceur, sieste vespérale et tendrement amoureuse.

Mon regard les quitte un instant pour balayer le paysage engourdi. Je m’allonge, me recroqueville, moi aussi. Torpeur, somnolence.

Je me redresse, il fait plus frais, le ciel et la mer se sont unis de gris.

Il est quinze heures trente-cinq.

 

Le couple, là-bas, est toujours enlacé. Rien n’a changé dans leur attitude. Je me lève, un peu endolorie, secoue mes cheveux, enfile mon coupe-vent, gustav-dore 

puis entame une promenade louvoyante pour approcher le couple. Une piéta, voilà le tableau qu’ils forment.

Irrésistiblement, je les rejoins. Une impulsion me fait saisir la main de l’homme : elle est glacée. Je ne la lâche pas, au contraire, je m’y accroche, je tire un peu. L’équilibre était fragile. Le tableau s’anime soudain en un effondrement languide des deux corps enlacés. Lâchant la main, je reste incrédule à regarder cette nouvelle union du couple. Le corps de la femme recouvre à présent celui de l’homme, il l’épouse. Sa main droite est restée coincée dans le col de la chemise, elle l’embrasse étroitement. Son visage est niché dans le creux de son cou. Une douce intimité s’est recréée sous mes yeux captivés.

Seuls leurs pieds disloqués rendent le tableau choquant. Et le flacon qui vient de rouler du rocher.

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