Vivre à nouveau

Publié le par Ondine Venezia

Au bas de la falaise, la mer se jetait violemment contre les rochers. Elle se tenait là, les yeux rivés sur le ressac, impassible, ses cheveux fous de vent la retenant au bord du gouffre. Une vague plus forte la fit sursauter. Un pas en arrière l’éloigna du vide. Chancelante, elle s’approcha de la chapelle.

 

La porte grinça juste un peu. Le rectangle noir l’accueillit dans sa fraîcheur immobile chargée d’humidité âcre. Elle dut baisser légèrement la tête pour éviter le linteau de granit, descendit deux marches et referma le battant derrière elle. Malgré l’obscurité brutale qui avait remplacé l’éblouissement du soleil, elle devinait déjà les lieux. La chapelle était petite, composée d’une simple nef chichement éclairée par deux vitraux latéraux. Quatre bancs sans dossier occupaient l’essentiel de l’espace, mal alignés. Le bruit de ses pas résonna et celui du banc qu’elle déplaça sur le dallage inégal pour s’asseoir. Au-dessus d’elle, pas de voûte, de croisée d’ogives, mais, sous une charpente apparente, des poutres horizontales, dont les extrémités, seule fantaisie du lieu, formaient des têtes monstrueuses d’animaux fabuleux. La lumière filtrée par les vitraux sales était terne. Aucun autre meuble que ces bancs, aucune statue, pas même un tronc n’était resté, signe de ces temps où le respect n’était plus une valeur unanime. Seule une croix qu’elle avait aperçue en entrant et dont elle sentait la présence au-dessus de son épaule droite était restée en place.

Elle était seule. Elle avait trouvé un havre. Envie de tout oublier, d’effacer le dehors, de suspendre le temps et sa vie.

Elle se mit à suivre la lente progression d’un rectangle de lumière sur le mur. Le soleil allait bientôt se coucher, et la situation de la chapelle sur le promontoire dégagé laissait les rayons pénétrer par le vitrail de gauche, exposé ouest. Elle s’aperçut que le rectangle gagnait le pied de la croix. Alors, elle prit son foulard, grimpa sur un banc et se mit à essuyer les carreaux. Aucun motif figuratif, mais un agencement de morceaux de verre rouges et jaunes qui réchauffaient la lumière froide de ce soir d’hiver. Elle laissa le banc sous le vitrail, s’assit face à la croix et regarda le Crucifié. Il était du même bois que la croix, un bois blond, brut. Les jambes croisées, clouées, étaient devenues bien visibles dans la lumière. La sculpture semblait assez grossière, les marques du burin amplifiées par les rayons légèrement rasants. Lentement, ce corps dénudé, martyrisé s’éclairait dans le dévoilement audacieux de la lumière. Des cuisses à la musculature fragile, un ventre vulnérable, à peine caché par le pagne court et échancré, la plaie outrancièrement béante sous des côtes tDali Crucifixion hypercuberop exposées. Le soleil tournait, peu à peu caché par la muraille ; elle se surprit à espérer qu’il lui laisserait le temps de contempler le visage. Une aisselle creusée se découvrit encore, en  même temps que le menton à la volonté résignée. Elle ne détachait plus son regard de l’homme sur la croix, rentré de nouveau dans l’ombre du recueillement. Elle se leva, se jucha sur un autre banc, et tendit la main vers ce visage qu’elle ne pouvait que deviner. Dans cette semi cécité avide de lumière, elle effleura les courbes du nez, des joues et des paupières. Le bois était chaud, doux, vibrant ; ces traits respiraient la plénitude du choix assumé, du don pour la vie. Un bien-être absolu se répandit dans tout son corps, dans son âme, dans l’idée de sa vie à venir.

Elle sourit.

 

Au dehors, elle fut accueillie par le souffle bienfaisant et régénérant de l’air salé. L’ombre avait enveloppé les lieux, le vent s’était apaisé. Elle monta dans sa voiture, mais ne reprit pas la route de la ville. Elle n’y avait plus d’avenir, son chemin était autre. Elle allait vivre, elle allait aimer, elle allait bâtir.

Elle était venue chercher le néant, elle avait gagné la vie.

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R
<br /> c'est très beau, très puissant. J'aurais juste enlevé la toute dernière phrase car c'est au lecteur de comprendre cela, enfin je cois....<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Oui, possible, mais entre trop d'implicite  ("vivre en ville", jamais bien compris, je crois...) et pas assez...<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Les descriptions sont très biens et l'on a envie de continuer à lire. Les sensations sont réalistes et bien retranscrites aussi :)<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Moi qui n'aime pas trop lire les descriptions, je m'aperçois en effet qu'elles constinuent une grande part de mes écrits. Etrange...<br /> <br /> <br /> <br />